L'intelligence artificielle a le potentiel de réorganiser l'économie

Intégrés dans l'économie, petit à petit de façon désorganisée à l'initiative de disrupteurs ou de façon plus planifiée par de grandes entreprises, automates, systèmes apprenants, agents d'analyse et assistants ont donc le potentiel pour faire évoluer de façon significative le système productif et enfin générer les gains de productivité que l'on attend depuis trente années de la révolution digitale et qui n'arrivent pas. Car c'est peut-être le principal enjeu qui se cache derrière l'intelligence artificielle : faire suffisament progresser la productivité pour ouvrir un nouveau cycle de croissance à une époque où les économistes discertent sur la possibilité d'une stagnation séculaire.

 

Pour que cette révolution se produise dans les entreprises, plusieurs défis devront être relevés.

Tout d'abord, le défi organisationnel et humain. De nombreuses entreprises ont disparu parce qu'elles n'étaient pas organisées pour aller conquérir des clients sur internet (CAMIF, Surcouf). D'autres ont failli disparaître parce qu'elles n'avaient pas les systèmes d'information et de logistique de nouvelle génération (La Redoute). L'intégration de l'intelligence artificielle dans les process de production et de gestion de la relation client, par exemple, suppose une nouvelle façon de penser, de travailler et de manager. Mais si de nombreuses entreprises ne parviennent à s'adapter aux mutations, c'est souvent parce que leurs collaborateurs (du plus haut dirigeant à l'opérateur au plus bas niveau) ne parvenaient pas à changer leur façon de penser, de travailler, de collaborer. Le défi de l'intelligence artificielle est donc, paradoxalement terriblement humain. La conversion à l'informatique a été douloureuse pour la génération des babyboomers. Celle de l'intelligence artificielle, si elle doit se produire nécessitera des efforts d'adaptation importants de la génération X. La génération Y, a priori mieux préparée, devra tout de même être formée à ces nouveaux modes de travail tout juste émergents. Il n'est, d'ailleurs, pas interdit de penser que c'est la génération Z, la suivante, qui sera la véritable experte de la coopération avec les agents intelligents et autres automates.

Ce seront peut-être eux qui parviendront à inventer les business models rendus possibles par l'intelligence artificielle. Mc Donalds a créé un système dans lequel les repas sont préparés par des invidus n'ayant pas suivi de formation en restauration. De la même façon, on peut imaginer l'émergence de conseil de société de conseil où des personnes non formées seraient capables de fournir des conseils d'experts, grâce à leur assistants intelligents. On peut ainsi même imaginer que l'on retournerait acheter son matériel électronique dans Intuito, la nouvelle chaîne de magasins d'électronique parce que l'on y reçoit des conseils d'experts prodigués par des bac+0, augmentés par des assistants intelligents capables de répondre à n'importe quelle question technique, beaucoup mieux que sur Amazon qui n'aurait pas su prendre le virage du « expert retailing ».

Qui dit nouveaux business models dit peut-être aussi nouveaux marchés. Les TPE n'ont actuellement pas les ressources pour s'allouer les compétences de spécialistes de la gestion d'entreprise, du management,  de la vente ou de la technique. Mais des plate-formes d'intelligence artificielle low cost, s'appuyant sur des binômes consultants peu expérimentés, mais augmentés par des agents intelligents, peuvent permettre à des marchés entiers d'émerger dans le domaine du consulting au TPE. Ce qui vaut pour le consulting aux TPE vaut probablement aussi pour la grand public ou les grandes entreprises.

Enfin, il faut peut-être déjà préparer l'interconnexion des différents systèmes d'intelligence artificielle les uns avec les autres. Si aucun expert ne croit à l'émergence rapide d'une intelligence artificielle planétaire de type Skynet dans « Terminator », Hall 9000 dans « 2001 l'odyssée de l'espace » ou David dans l'« AI » de Steven Spielberg, il existe une théorie dans laquelle une multitude de petits systèmes intelligents se développent, petit à petit, de façon indépendante. Les entreprises pourraient donc se retrouver confrontées à un scénario d'incompatibilité entre les diférents systèmes d'intelligence artificielle qu'elles développeront en interne, loueront en mode Saas ou sous-traiteront à des partenaires. Concevoir des systèmes ouverts susceptibles d'échanger entre eux, de se connecter aux différents systèmes d'information d'une entreprise ou aux réseaux de capteurs qui sont en train de se mettre en place, permettra aux entreprises de réaliser l'économie du redéveloppement de surcouches logicielles d'interconnexion.

On le voit, une fois les fantasmes levés et les perspectives de court terme identifiées, les entreprises ordinaires peuvent identifier des opportunités à exploiter. 

Les professionnels peuvent définir des stratégies d'employabilité leur permettant de se préparer aux mutations qui s'annoncent.

Si bien que les prédictions apocalyptiques d'oiseaux de mauvais augure sur la substitution des humains par les machines peuvent être remplacées par un avenir dans lequel les hommes s'appuient sur l'intelligence artificielle pour augmenter leur capacité et leur productivité, deviennent plus polyvalents qu'ils ne l'ont jamais été, un avenir dans lequel l'industrie du textile et bien d'autres  reviennent en Europe, un avenir dans lequel le savoir-faire français s'exporte dans le monde entier à travers des services Saas d'intelligence artificielle, un avenir dans lequel les call centers apportent enfin des réponses intelligentes à leurs clients, un avenir dans lequel nous entrions dans un nouveau cycle de croissance rendu possible par les gains de productivité de l'intelligence artificielle, un avenir dans lequel les robots et agents intelligents produisent des richesses qui permettront de financer le système de retraite...

Pour que cela et bien d'autres choses se produisent, il nous appartient, à nous professionnels européens du digital, de nous emparer de ce sujet. Soyons en convaincus, ce n'est pas à quelques centaines d'ingénieurs de la Silicon Valley de décider du futur de l'intelligence artificielle. Ils ont déjà décidé de la façon dont nous devions rechercher des informations ou de la façon dont nous devions nous connecter les uns aux autres à travers les réseaux sociaux. Sur l'intelligence artificielle, nous pouvons prendre la main pour qu'elle soit une opportunité et non une menace, pour qu'elle permette d'améliorer nos performances plutôt qu'elle nous remplace, qu'elle assiste les personnes âgées plutôt qu'elles ne les rendent dépendantes de multinationales, pour qu'elle permette de prévenir le développement de cancers plutôt qu'elle n'exclue des systèmes d'assurance privés ceux qui pourraient en développer ou encore qu'elle permette de faire revenir des chômeurs sur le marché du travail en augmentant la valeur de leur travail.